Musée de la région de Fredericton. Artiste : Claire Vautour, 2020 |
Laissez-moi vous parler d’ma longue marche vers la liberté.
Nous, les Noirs libres du Nouveau-Brunswick, attendons ici sur les côtes d’Halifax, prêts
à commencer notre retour en Afrique… au Sierra Leone… vers la terre promise.
Il s’est écoulé beaucoup d’temps depuis qu’ces promesses ont été faites. J’vais vous
raconter cette histoire.
Elle commence en 1783, quand j’me suis échappé des colonies américaines avec
beaucoup d’autres. Mais vous ne trouverez pas mon nom dans leurs pages du Livre
des nègres.
Pour être dans l’Livre, vous deviez être libres pendant un an et avoir un certificat
d’liberté. Pendant c’temps, les chasseurs d’esclaves attrapaient des gens. Wilmington,
Charleston, New York, si vous aviez une chance de vous évader, vous ne la manquiez
pas. Vous embarquiez votre famille sur un bateau et vous partiez. Parfois libres, parfois
enchaînés… mais vous n’étiez plus esclave.
« Passport for Cato Ramsay to emigrate to Nova Scotia », 21 avril, 1783; le fonds de la famille Gideon White; Archives de la Nouvelle-Écosse, MG 1 vol. 948, no 196 |
C’est là qu’j’ai d’abord demandé au gouverneur Carleton de nous accorder des terres.
J’demandais pas grand-chose, j’peux vous dire, mais comme j’m’en suis vite rendu
compte, la terre promise de la liberté s’trouvait pas ici en Amérique du Nord britannique.
Déclaration de Thomas Peters, représentant des « Free Blacks of New Brunswick », 1790; Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, F1037 |
« Nous, Noirs libres de la Province du Nouveau-Brunswick, ayant reçu de l’information
en vertu d’une lettre du révérend W. Joshua Weeks adressée aux Noirs libres de
Brinley Town en Nouvelle-Écosse comme quoi des collectes charitables ont été faites
en Angleterre dans le but d'ériger et de soutenir des écoles gratuites, où les enfants des
Noirs libres peuvent être instruits sans frais dans l'apprentissage et la religion,
Étant remplis de gratitude envers ladite société de bienfaisance et sensibles aux grandes bénédictions et aux avantages que nous connaîtrons en passant d'un état d'ignorance et d'obscurité à une compréhension éclairée et à un cœur rectifié,Par la présente, nous engageons solennellement et sacrément, chacun envers les autres, à respecter strictement, au mieux de nos connaissances et de nos capacités, les règles et règlements de l'Église épiscopale d'Angleterre, tels qu'ils sont établis par la loi,Et, en tant que chrétiens, nous serons calmes et chastes dans notre comportement, pacifiques et obéissants au processus de décision et soumis à toutes les dispensations de la Providence. »
À Fredericton, nous avons attendu… Mais ç’a rien donné.
Donc, en 1791, y avait moi, John Rezel, Moses Simpson, Jack Patterson, Sam Wright,
Meney Allen, John Brown, William Taylor et Jerry Davies. John a écrit lui-même notre
pétition à Son Excellence Thomas Carleton, Esquire, capitaine-général et gouverneur
en chef de toute la Province du Nouveau-Brunswick, etc., etc. etc.
Demande de terre de John Rezel et 8 aures, 2 septembre, 1791; Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, F1038 |
« Nous déclarons respectueusement que vos mémorialistes, avec toute la déférence
due à la sagesse et à la bonté de votre Excellence, s’offre humblement à la
considération de Votre Excellence pour une telle proportion de terres jugée adéquate
pour chacun de vos mémorialistes individuellement.
Les terres que nous vous demandons humblement de nous attribuer se trouvent en
arrière de l’extrémité inférieure ou du début de la paroisse de Kingsclear.
Nous avons exposé notre cas clairement et poliment, car nous voulons lui faire
savoir à quel point la vie est vraiment difficile pour nous. Nous avons expliqué
que dans leur mode de vie actuel, nous ne sommes que peu utiles pour nos
familles et encore moins pour la communauté, mais si nous avions la chance d’obtenir
des terres, nous nous installerions immédiatement et deviendrions des colons utiles et
industrieux. »
Demande de terre de John Rezel et 8 aures, 2 septembre, 1791; Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, F1038 |
Non! On d’mandait pas grand-chose. Juste un bout d’terre qui serait à nous… où
nous pourrions être des colons utiles et industrieux.
Mais ç’a rien donné.
En tout cas, ce Thomas Peters est un homme bon.
Il était prince en Afrique et c’était un leader parmi les pionniers. Dès l’début d’la guerre.
Quand on a pas eu nos terres, il a écrit et écrit et écrit. Ensuite il a sauté sur un bateau
partant pour l’Angleterre pour aller voir le capitaine Martin, le commandant des
pionniers. Il est ensuite entré en contact avec le général Clinton et peu après, Thomas
Peters parlait à Lord Granville en personne. À Londres, Peters a entendu parler d’une
colonie au Sierra Leone, et maintenant, nous savions qu’y aurait pas de liberté pour
nous au Nouveau-Brunswick. Donc Peters a accepté d’emmener des gens au Sierra
Leone pour qu’ils vivent là-bas comme des rois.
Rev. Jonathan Odell; Musée du Nouveau-Brunswick, www.nbm-mnb.ca, W1294 |
Jonathan Odell a compliqué les choses pour les gens comme moi qui voulaient quitter
Fredericton. Y avait un navire à quai à Saint John, prêt à emmener tous ceux qui
voulaient partir au Sierra Leone à Halifax, où nous pouvions rejoindre l'expédition.
Mais Odell a a rendu impossible l'accès au bateau pour les gens comme moi.
Finalement, le bateau est parti sans moi!
On était cinq. Vous savez ce qu’on a fait? On a marché de Saint John à Halifax. Y
faisait froid! Faire tout ce chemin à la marche en novembre, c’était dur. On a marché
340 milles. Ça nous a pris quinze jours.
Lieutenant John Clarkson de la Marine royale, vers 1791; artiste inconnu, Wisbech and Fenland Museum |
Clarkson était impressionné par notre témérité d’abandonner cette terre « dont les
habitants nous traitaient avec une telle barbarie ». C’étaient ses mots exacts.
Maintenant, j’me repose ici, avec environ 800 autres âmes prêtes à embarquer pour le
Sierra Leone.
Quand on arrivera là-bas, si Dieu l’veut, nous aurons finalement les terres qui nous ont
été promises. On vivra comme les maîtres et on montrera au monde c’que les Noirs
libres peuvent faire quand on les laisse tranquilles. Comme Israël, le Sierra Leone est la
terre promise!
Le chemin d’la liberté nous ramène en Afrique.