L’histoire de Nathaniel Lad : La longue marche à la Sierra Leone : Halifax, décembre, 1791

Musée de la région de Fredericton.
Artiste : Claire Vautour, 2020

Laissez-moi vous parler d’ma longue marche vers la liberté. 

Nous, les Noirs libres du Nouveau-Brunswick, attendons ici sur les côtes d’Halifax, prêts à commencer notre retour en Afrique… au Sierra Leone… vers la terre promise. 

Il s’est écoulé beaucoup d’temps depuis qu’ces promesses ont été faites. J’vais vous raconter cette histoire.

Elle commence en 1783, quand j’me suis échappé des colonies américaines avec beaucoup d’autres. Mais vous ne trouverez pas mon nom dans leurs pages du Livre des nègres. 

Pour être dans l’Livre, vous deviez être libres pendant un an et avoir un certificat d’liberté. Pendant c’temps, les chasseurs d’esclaves attrapaient des gens. Wilmington, Charleston, New York, si vous aviez une chance de vous évader, vous ne la manquiez pas. Vous embarquiez votre famille sur un bateau et vous partiez. Parfois libres, parfois enchaînés… mais vous n’étiez plus esclave. 

« Passport for Cato Ramsay to emigrate to Nova Scotia », 21 avril, 1783
« Passport for Cato Ramsay to
emigrate to Nova Scotia », 21 avril, 1783;
le fonds de la famille Gideon White;
Archives de la Nouvelle-Écosse,
MG 1 vol. 948, no 196
Mais ces dernières années, Thomas Peters m’a beaucoup aidé avec mes frères et sœurs. Vous voyez, quand j’suis arrivé en Nouvelle-Écosse durant l’évacuation des Loyalistes, j’me suis ensuite rendu à Fredericton. 

C’est là qu’j’ai d’abord demandé au gouverneur Carleton de nous accorder des terres. J’demandais pas grand-chose, j’peux vous dire, mais comme j’m’en suis vite rendu compte, la terre promise de la liberté s’trouvait pas ici en Amérique du Nord britannique. 

Déclaration de Thomas Peters, représentant des « Free Blacks of New Brunswick », 1790
Déclaration de Thomas Peters,
représentant des « Free Blacks of
New Brunswick », 1790;
Archives provinciales du
Nouveau-Brunswick, F1037
Thomas Peters est l’premier qui a parlé pour nous au gouverneur Carleton. On était quinze avec Bob Stafford. Thomas Peters a d’mandé des terres en notre nom en arrière de Kingsclear. En 1789, on a même signé une déclaration pour leur montrer comment on était sobres, pour nous améliorer. Elle disait: 

« Nous, Noirs libres de la Province du Nouveau-Brunswick, ayant reçu de l’information en vertu d’une lettre du révérend W. Joshua Weeks adressée aux Noirs libres de Brinley Town en Nouvelle-Écosse comme quoi des collectes charitables ont été faites en Angleterre dans le but d'ériger et de soutenir des écoles gratuites, où les enfants des Noirs libres peuvent être instruits sans frais dans l'apprentissage et la religion, 

Étant remplis de gratitude envers ladite société de bienfaisance et sensibles aux grandes bénédictions et aux avantages que nous connaîtrons en passant d'un état d'ignorance et d'obscurité à une compréhension éclairée et à un cœur rectifié, 

Par la présente, nous engageons solennellement et sacrément, chacun envers les autres, à respecter strictement, au mieux de nos connaissances et de nos capacités, les règles et règlements de l'Église épiscopale d'Angleterre, tels qu'ils sont établis par la loi, 

Et, en tant que chrétiens, nous serons calmes et chastes dans notre comportement, pacifiques et obéissants au processus de décision et soumis à toutes les dispensations de la Providence. » 

À Fredericton, nous avons attendu… Mais ç’a rien donné. 

Donc, en 1791, y avait moi, John Rezel, Moses Simpson, Jack Patterson, Sam Wright, Meney Allen, John Brown, William Taylor et Jerry Davies. John a écrit lui-même notre pétition à Son Excellence Thomas Carleton, Esquire, capitaine-général et gouverneur en chef de toute la Province du Nouveau-Brunswick, etc., etc. etc. 

Demande de terre de John Rezel et 8 aures, 2 septembre, 1791
Demande de terre de John Rezel
et 8 aures, 2 septembre, 1791;
Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, F1038
Encore une fois, on a essayé de témoigner notre respect pour cette nouvelle province. John, il a écrit une excellente lettre au gouverneur Carleton qui disait : 

« Nous déclarons respectueusement que vos mémorialistes, avec toute la déférence due à la sagesse et à la bonté de votre Excellence, s’offre humblement à la considération de Votre Excellence pour une telle proportion de terres jugée adéquate pour chacun de vos mémorialistes individuellement. 
    


    Les terres que nous vous demandons humblement de nous attribuer se trouvent en arrière de l’extrémité inférieure ou du début de la paroisse de Kingsclear. 

    Nous avons exposé notre cas clairement et poliment, car nous voulons lui faire savoir à quel point la vie est vraiment difficile pour nous. Nous avons expliqué 

    que dans leur mode de vie actuel, nous ne sommes que peu utiles pour nos familles et encore moins pour la communauté, mais si nous avions la chance d’obtenir des terres, nous nous installerions immédiatement et deviendrions des colons utiles et industrieux. » 

    
Demande de terre de John Rezel et 8 aures, 2 septembre, 1791
Demande de terre de John Rezel
et 8 aures, 2 septembre, 1791;
Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, F1038
Maintenant, vous croiriez qu’notre humble demande aurait fait une différence. Nous d’mandions pas d’terres fertiles le long d’la rivière. Non! Ces terres sont déjà prises par des Blancs comme ce diable de George Ludlow, et le lieutenant-colonel Isaac Allen, avec leurs milliers d’arpents de terres. 

    Non! On d’mandait pas grand-chose. Juste un bout d’terre qui serait à nous… où nous pourrions être des colons utiles et industrieux. 

    Mais ç’a rien donné. 

En tout cas, ce Thomas Peters est un homme bon. 

Il était prince en Afrique et c’était un leader parmi les pionniers. Dès l’début d’la guerre. Quand on a pas eu nos terres, il a écrit et écrit et écrit. Ensuite il a sauté sur un bateau partant pour l’Angleterre pour aller voir le capitaine Martin, le commandant des pionniers. Il est ensuite entré en contact avec le général Clinton et peu après, Thomas Peters parlait à Lord Granville en personne. À Londres, Peters a entendu parler d’une colonie au Sierra Leone, et maintenant, nous savions qu’y aurait pas de liberté pour nous au Nouveau-Brunswick. Donc Peters a accepté d’emmener des gens au Sierra Leone pour qu’ils vivent là-bas comme des rois. 

Rev. Jonathan Odell
Rev. Jonathan Odell; Musée du Nouveau-Brunswick,
www.nbm-mnb.ca, W1294
Mais savez-vous ce qu’y ont fait? Le gouverneur Carleton, dans sa grande sagesse, a nommé cette vipère de Jonathan Odell comme agent responsable de l’expédition au Sierra Leone pour le Nouveau-Brunswick! C’est comme demander à un renard de surveiller un poulailler! 

Jonathan Odell a compliqué les choses pour les gens comme moi qui voulaient quitter Fredericton. Y avait un navire à quai à Saint John, prêt à emmener tous ceux qui voulaient partir au Sierra Leone à Halifax, où nous pouvions rejoindre l'expédition. 

Mais Odell a a rendu impossible l'accès au bateau pour les gens comme moi. Finalement, le bateau est parti sans moi! 

On était cinq. Vous savez ce qu’on a fait? On a marché de Saint John à Halifax. Y faisait froid! Faire tout ce chemin à la marche en novembre, c’était dur. On a marché 340 milles. Ça nous a pris quinze jours.

Lieutenant John Clarkson de la Marine royale, vers 1791
Lieutenant John Clarkson de la
Marine royale, vers 1791; artiste inconnu,
Wisbech and Fenland Museum
Mais on a réussi! Vous auriez dû entendre c’que le lieutenant John Clarkson avait à dire quand on est arrivé (c’est un d’ceux qui travaillaient avec Thomas Peters pour organiser l’expédition au Sierra Leone). J’peux vous dire que Clarkson était pas content! Je l’ai entendu parler au capitaine du bateau au dîner, parce qu’on est arrivés juste comme y se préparaient à dîner. 

Clarkson était impressionné par notre témérité d’abandonner cette terre « dont les habitants nous traitaient avec une telle barbarie ». C’étaient ses mots exacts. 

Maintenant, j’me repose ici, avec environ 800 autres âmes prêtes à embarquer pour le Sierra Leone.

Quand on arrivera là-bas, si Dieu l’veut, nous aurons finalement les terres qui nous ont été promises. On vivra comme les maîtres et on montrera au monde c’que les Noirs libres peuvent faire quand on les laisse tranquilles. Comme Israël, le Sierra Leone est la terre promise! 

Le chemin d’la liberté nous ramène en Afrique.

« Freetown, Sierra Leone, mid-19th century »
« Freetown, Sierra Leone, mid-19th century »;
Bibliothèque de l’Université de Virginie,
collections spéciales, MSS 14357, no 8